• Chapitre 2 : Felipe Saladino

    Chapitre 2 : Felipe Saladino

    J’étais installé bien au chaud, attendant la venue du roi. Son invitation m’avait laissé perplexe. Cela faisait déjà un an que j’avais sollicité son aide pour mon… petit problème et je n’avais eu aucune réponse. Jusqu’à ce que l’estafette royale me convie au palais du roi Karl, quatre jours plus tôt.

    Chapitre 2 : Felipe Saladino

    La convocation avait-elle un rapport avec mon affaire ou bien s’agissait-il de toute autre chose ? Et dans ce dernier cas, de quoi pouvait-il bien être question ? Mes interrogations commençaient à me prendre sérieusement la tête. Je n’étais pas d’une nature inquiète – en général – mais l’affaire qui m’intéressait était sérieuse et s’attachait à mon avenir.

    J’espérais sincèrement que le roi Sarrow avait enfin décidé d’intercéder en ma faveur auprès de son homologue régnant sur Espourt. L’exil commençait à me peser. Oh, je trouvais à m’occuper sans mal, entre les parties de dés avec les marins du port, les parties fines avec les filles des tavernes et les prises à partie des ivrognes bagarreurs de tout poil. Je vivais correctement, jonglant entre les moments de chance qui me permettaient de confortables extra et les épisodes de malchance durant lesquels les dés ne suffisaient pas à combler mes attentes. Je devais alors trouver d’autres sources de revenus, mais je m’en sortais bien, les riches dames et damoiselles n’étaient pas très farouches à Cambuz et très généreuses quand on savait s’y prendre.

    Non, ma vie était somme toute bien agréable pour un exilé politique, mais c’était une existence pleine d’imprévus et j’aimais le confort d’une vie bien établie. Mon pays me manquait, les filles de mon pays me manquaient, les tavernes de mon pays me manquaient et plus que tout, mon manoir et mon titre me manquaient ! Ici, je n’étais personne, juste un noceur lambda parmi tant d’autres. Là-bas, j’étais archiduc, respecté par mes pairs, dirigeant mon propre domaine, envié par tous les nobliaux de rang inférieur… Ah, cela me manquait tant !

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    Je secouai la tête, balayant cette mélancolie embarrassante. Pour l’heure, j’étais dans ce salon confortable, quelques friandises à portée de main, en compagnie de deux individus fort intrigants. Je m’intéressai un instant au sauvage à moitié nu qui croisait les bras d’un air revêche. Il était proprement effrayant avec ses biceps saillants, ses tatouages tribaux, sa peau cuivrée, et cette crête improbable qui ornait son crâne. Un sauvage, un étranger taciturne qui n’avait même pas pris la peine de me saluer quand j’étais entré dans le boudoir. Je n’aurais pas voulu le croiser au coin d’une ruelle sombre, ni même le défier au bras de fer. Il était inquiétant, à se tenir ainsi, immobile et muet à côté du buffet de douceurs aux odeurs alléchantes, sans s’émouvoir du luxe qui l’entourait. A croire que rien ne pouvait atteindre ce colosse à l’armure invisible. Qui donc pouvait-il être ? Et surtout, pourquoi était-il ici, en ma présence ?

    Un invité du roi ? Inconcevable ! Et pourtant, il devait bien y avoir une raison à sa présence. Je ne m’attardai pas plus sur le mystérieux personnage, j’en saurais certainement plus en temps voulu.

    Mon regard se posa alors sur l’élégante croupe d’une charmante damoiselle. Elle admirait les faïences royales d’un air joyeux, me laissant tout loisir pour que, moi, j’admire sa plastique alléchante. Une taille fine, des hanches étroites mais néanmoins féminines, un cou gracieux comme celui d’un cygne. Sa peau, foncée, ne laissait pas présager d’une haute naissance, mais qu’importe, après tout : elle avait d’excellentes manières et sa robe, quoique simple, la mettait en valeur.

    Quand j’avais croisé son regard, à son arrivée, un regard bleu-vert d’une limpidité incroyable, j’avais eu une étrange impression, comme si ces yeux ne m’étaient pas inconnus, j’avais eu la sensation électrisante que ces bulles de pureté m’avaient déjà regardé, naguère. Ça avait été fugace, un sentiment de déjà-vu, mais ça m’avait laissé pantois. Moi, toujours à mes aises auprès de la gent féminine, j’étais resté muet devant la femme au sourire espiègle, tel un damoiseau rougissant de ses premiers émois ! C’était incompréhensible.

    A présent qu’elle me tournait le dos, je reprenais contenance, rassemblant mes esprits et affûtant ma verve légendaire. Je me demandai quelle serait la meilleure manière de l’aborder quand la porte s’ouvrit, laissant apparaître une créature plus à ma portée.

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    La belle, chevelure courte flamboyante, yeux verts et vifs, éphélides d’une joliesse attendrissante, s’avança avec assurance dans la pièce et jaugea l’assistance d’un air intrigué. Elle ne s’était manifestement pas attendue à une telle assemblée. Sa tenue ne cachait rien de son anatomie avantageuse. J’aimais les femmes habillée en homme, c’était mon péché mignon : les culottes mettaient en valeur la longue ligne charnue des jambes, dévoilant des délices d’ordinaire cachées par les jupes évasées. Et cette femme avait de fameux fumerons, mes aïeux !

    Délicatement musclées, fuselées à souhaits, ces jambes promettaient des jeux pour le moins acrobatiques. Je levai nonchalamment les yeux, conscient de mon regard insistant, mais pas le moins du monde gêné, et scrutai plus attentivement son visage volontaire. Elle, j’étais certain de l’avoir vu quelque part, et récemment. Un visage pareil ne s’oubliait pas…

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    Merci à Solledade qui joue la tenancière de l'auberge.

    Soudain, la lumière se fit dans mon esprit. A la taverne ! Je l’avais vue à la taverne, quatre jours plus tôt !

    Ça avait été une fameuse soirée, bien arrosée ! J’avais délesté la bourse de quelques trappeurs lors d’une partie de dés mémorable. Il faut dire que la beauté accrochée à mon bras m’avait porté une sacrée chance ! L’assistance était joyeuse. Ça chantait, ça dansait, ça buvait, ça vociférait. Les hommes se rapprochaient des serveuses, les serveuses lançaient des œillades aguicheuses. C’était un beau raffut qui régnait à l’intérieur de la taverne surchauffée. 

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    Merci à LadySquirrel qui joue la serveuse.

    Installée seule au fond de la salle, observant en silence les fêtards, la belle rousse sirotait son godet avec satisfaction. J’avoue, je ne m’étais pas attardé plus que ça sur elle, bien trop occupé que j’étais avec la donzelle délurée assise sur mes genoux, qui me susurrait des mots doux à l’oreille et me promettait mille découvertes exotiques en sa compagnie. J’avais enregistré la présence de la mystérieuse femme en culottes, puis je ne m’y étais tout simplement plus intéressé. Mon cerveau marchait comme ça : il observait des détails sans que je fasse d’effort particulier, il archivait et passait à autre chose. Plus tard, si j’en éprouvais le besoin,  je pouvais récupérer les informations sans peine. 

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      Merci à Caroline qui joue la compagne d'un soir de Felipe.

    Je n’avais pas prêté attention à la rouquine, ce soir-là, mais je savais quand même qu’elle était montée à l’étage dédié aux chambres accompagnée d’un garçon imberbe, un gars de la taverne qui avait son petit succès auprès des rares dames qu’on croisait en ce lieu réputé, mais aussi auprès de quelques clients réguliers aux mœurs… quelque peu différentes des miennes. Quoi qu’il en fût, elle était montée au bras de cet éphèbe et je ne l’avais plus vue de la soirée. Je n’avais d’ailleurs guère tardé après ça, la gourgandine collée à mon bras semblait pressée de passer aux choses sérieuses. Malheureusement pour elle, nous n’avions pas pu aller plus loin que le pied de l’escalier, l’estafette royale ayant choisi de m’intercepter à ce moment-là. Intrigué par l’invitation royale, rendu fiévreux par la possibilité que ma situation s’arrangeât enfin, j’avais laissé là la jouvencelle, non sans lui promettre de revenir la voir à la première occasion – elle semblait si prometteuse, la drôlesse ! J’avais plié bagage le plus vite possible et pris mes dispositions pour que mes malles me suivent sans encombre et je m’étais présenté au palais.

    J’aurais finalement pu rester tranquillement à l’auberge et honorer ma charmante compagne, mon empressement n’avait servi à rien, puisque je n’avais pas encore vu le roi, après quatre jours d’attente interminables. Je commençais à trouver le temps long, à ronger mon frein dans l’incertitude la plus totale quant à mon avenir proche. Mais l’attente en avait finalement valu le coup, rien que pour les mystères que m’offrait le roi en me faisant patienter en compagnie d’individus aussi… étranges dans leur mise ou dans leur attitude.

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    La rouquine était un de ces mystères que j’aurais bien aimé exploré plus profondément. Ses yeux verts étaient deux joyaux dignes des plus beaux trésors et je me serais bien vu y plonger pour un doux moment de volupté. N’y tenant plus, je me levai et me présentai à la beauté :

    - Madame, soyez la bienvenue dans ce salon. Je suis Felipe Saladino, archiduc et ancien conseiller du roi Aldric Morrdon, du Royaume d’Espourt, et votre serviteur. Puis-je vous conduire jusqu’à ce fauteuil pour que vous preniez vos aises ?

    La donzelle eut un petit sourire hautain avant de répondre d’une voix délicieusement grave:

    - Je peux très bien m’y conduire seule, Messire. Gardez vos manières pour vous et je serai tout à mon aise.

    Et sans ambages, elle me contourna et alla prendre place en face de la cheminée. Je crus entendre un rire étouffé provenant de la deuxième fille, mais je me drapai dans ma dignité et n’y fis pas attention. Le colosse, quant à lui, n’avait pas bronché, comme perdu dans un monde invisible.

    Je retournai à ma place et croisai les bras, tentant de capter le regard dur de celle qui venait de m’éconduire aussi inconsidérément. Ce qu’elle ne savait pas, c’était qu’il m’en fallait plus pour me refroidir. En agissant ainsi, elle n’avait fait que piquer mon désir, la gueuse ! 

    Chapitre 2 : Felipe Saladino

    Je la fixai depuis un moment déjà quand la porte s’ouvrit de nouveau, laissant place à une autre damoiselle, bien différente de la précédente. Je ne m’attardai pas longtemps sur sa silhouette maigrichonne, les jouvencelles à peine formée n’étaient pas ma marotte. La jeune fille avait pourtant une drôle d’allure qui aurait eu de quoi exciter ma curiosité s’il n’y avait eu la rousse piquante. Elle était vêtue à la bohémienne ; ses cheveux si blonds qu’ils en étaient blancs cascadaient librement sur ses épaules menues ; ses yeux avaient quelque chose de dérangeant, d’insaisissable, d’effrayant même. Et pourtant, il s’agissait d’une toute jeune damoiselle, elle ne devait pas avoir plus de quinze ou seize printemps. Mais son attitude désinvolte, sa façon de regarder les autres sans détour firent que je me sentis tout petit en sa compagnie. Étrange  pour le moins ! Le colosse sembla lui aussi saisi par l’apparition. Il la regarda avec un air enfin intéressé, un je-ne-sais-quoi pétillant au fond de sa prunelle noire. Finalement, l’homme n’était pas fait de bois; mais qu’il s’animât pour une pucelle innocente alors qu’il était manifestement entré dans la phase des hommes mûrs m’emplit d’une grande méfiance à son égard. Je décidai sur-le-champ de le garder à l’œil. J’avais horreur de ces vieux-beaux friands de chair fraîche. Batifoler et lutiner, oui, mais avec classe et honneur, que diable !

    La damoiselle fit une ravissante révérence et lança à la ronde :

    - Le roi Sarrow sera là d’ici quelques instants. Votre attente va s’achever.

    Je regardai la jouvencelle d’un œil nouveau. Une petite bohémienne annonçant un roi, quel étrange protocole. Cela avait de quoi épaissir encore le mystère entourant cette entrevue prochaine. Mais je ne pus laisser mes pensées s’interroger plus avant, car la porte s’ouvrit de nouveau, laissant place au monarque.

    Enfin, j’allais savoir de quoi il retournait, apparemment en même temps que tous ceux présents dans la pièce.


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